Mais Démocrite et Épicure, de leur côté, ont
fait de la combinatoire des lettres un nouveau mode, positif, de penser
le monde, un nouveau modèle de vision du cosmos, qui n'est autre
que la conception atomique du monde. Les mots, qui désignent une
si grande variété de choses, sont tous composés des
mêmes lettres, dont seul l'ordre varie. Il en est de même des
atomes dont ils postulent l'existence, particules élémentaires,
tous d'une nature simple, mais qui, combinés les unes aux autres,
de différentes façons, créent la multitude variée
et infinie des substances du monde. Avec la lettre, non plus comme risque
d'aliénation, mais comme modèle de formation et d'information
du cosmos, Démocrite et Épicure, font le saut dans le digital.
Monnaie et écriture ont des destins parallèles. L'alphabet
est le moment commerçant de l'écriture. La monnaie est le
moment alphabétique de l'économie. Dans la lettre et la monnaie
peut se reconnaître le même principe de réduction du
multiple à l'un. Un élément unique sert de mesure ou
d'expression à une multiplicité. La monnaie est l'équivalent
général des marchandises, le moyen de ramener à la
même valeur, l'ensemble bigarrée et hétérogène
des services et des biens. Le son de la voix (puis la lettre qui le représente)
est l'équivalent général de tout ce qui peut se signifier
dans le monde. Une batterie finie de signes (phoniques, puis graphiques)
peut représenter, exprimer, traduire, l'infinie variété
de la signification.
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